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The Black-Box

Grace à la tension présente entre le sujet et l’objet, le spectateur est emmené au delà du récit anecdotique (du souvenir de vacances) et est projeté face à une certaine condition humaine.

Christopher Wood (historien d'art américain) déclare à propos du processus de la naissance de l'œuvre d'art : "Le monde extérieur se fond dans une œuvre d'art". "Se fondre" signifie bien plus que "se refléter".

L'artiste ne peut expliquer ce qui se passe exactement dans son esprit. Ce sont des processus complexes, parfois très rapides, parfois longs et périlleux. Ce phénomène échappe à la personne étrangère au monde de l'art. Chritopher Wood décrit se phénomène de "Black Box", de cet "intraduisible". Je trouve cette expression particulièrement bien adaptée aux toiles de Karine Bartoli.

Il s'agit tout d'abord de peintures qui nous rappellent spontanément des photos instantanées. Les modèles sont des photographies de scènes banales. Ce ne sont pas des portraits, mais plutôt des hommes et des femmes qui ont fonction d'acteurs : on ne les distinguent pas vraiment. Le style et la technique de Karine Bartoli est très individuel, volontaire et empreint d'une certaine générosité. Les motifs et les scènes apparaissent instantanément telles des photos prisent sur le vif.

C'est bien cette part du monde extérieur (cette photo), cette réalité emprisonnée, cet instant précis, cette atmosphère particulière qui la fascine. Sa "Black Box" artistique signifie alors capturer le moment saisi par l'appareil photo pour le fondre en une œuvre, une peinture, pour atteindre un autre niveau, un témoignage de la réalité.

 

C'est comme si elle avait  ralenti les scènes de la vie courante et banale, comme si elle avait décanté la multitude d'impressions résultant de ces situations afin de les concentrer en un instant unique et intense.

 

Pour revenir à la définition de l'art comme "intraduisible" : ces "instants" dans les peintures ne peuvent pas être traduits par des mots. Si on essayait on ne reviendrait certainement pas sur ces plages ou autres lieus mais quelque part dans le monde de Karine Bartoli."Plus on a de photos de soi, plus il y a matière à réflexion, et plus l'idée de nous même devient brouillée et incertaine" écrit Thomas Kleinspehn dans son livre "Le regard fugitif". Il ajoute au sujet du flux d'images quotidien : "Devant le défilé des images, la vue, comme aucun autre sens, enclenche un processus d'aliénation sociale". Il conçoit la fuite dans l'imaginaire et le regard sélectif et furtif comme une protection possible contre les impressions envahissantes et le trop plein de sollicitations de notre temps.

 

C'est dans cet esprit très actuel qu'existent les peintures de Karine Bartoli, pas seulement comme un univers "silencieux" mais comme une réponse artistique à notre temps.

 

A.Meiling
 

L'émotion du banal

«Tiens toujours en mémoire chaque état, chaque moment qui est d’une valeur infinie car il représente toute une éternité».    

JW. Goethe

Karine Bartoli dé-peint la vie en plein air, la mer, la plage et la lumière du sud. Elle est née en 1971 à Ajaccio, obtient son diplôme à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Marseille en 1997. Depuis elle travaille et vit à Paris. Ses tableaux représentent des scènes de  plage, paysages, ou intérieurs. Ainsi nous voyons par exemple des bâtiments,des intérieurs avec des personnes qui s'occupent.


L’été, des scènes de plage et la mer, sont le support figuratif principal de sa peinture, ainsi que la lumière intense, les ombres aigües et les couleurs réalistes. Le regard du spectateur est attiré au loin au dessus des hommes, au dessus de la mer vers un horizon lointain. Ce regard peut se promener, se déplacer d’un sujet à l’autre ; des «passerelles» se forment grâce à  des diagonales par lesquelles ce dernier  peut s’étirer vers un ailleurs.  Il y a un tableau avec un parasol jaune qui bouge dans le vent : on sent  la direction du vent, quatre personnes (certainement une famille) sont couchées sur le sable et regardent au loin, ils nous tournent le dos, nous suivons leur regard jusqu’à l’horizon.

Karine Bartoli peint la solitude avec une certitude, créant une intensité pour celui qui regarde ses tableaux. Sa peinture à une certaine nonchalance, elle montre des scènes que l’on voit seulement par hasard involontairement. Il n‘y a pas de poses mais des gestes quotidiens, les hommes sont montrés au naturel comme des figures d‘importance secondaire. Souvent ces personnages nous tournent le dos, ils sont coupés ou cachés, font partie intégrante du paysage, les mouvements sont gelés comme si la photo avait été volée. Le quotidien, la banalité semble intéresser l’artiste : une plage déserte, des transats, des parasols et des hommes semblent tous fusionner. La peinture de Karine Bartoli offre une qualité originale qui surmonte le tableau anecdotique de vacances pour devenir une représentation symbolique de l’homme actuel. Grace à la tension présente entre le sujet et l’objet le spectateur est emmené au delà du récit anecdotique (du souvenir de vacance) et est projeté face à une certaine condition humaine.

 

« Poésie »

Texte d'introduction de l'exposition "Poesie" à Seeshaupt
(22/09- 16/11/2024)

"Poésie" est le titre de cette exposition de tableaux de Karine Bartoli.

Karine Bartoli est originaire d’Ajaccio en Corse. Elle a reçu sa formation artistique à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Marseille, dont elle est sortie diplômée en 1997. Depuis, elle travaille en Corse et à Paris.
La lumière du sud, les paysages et les gens qui y vivent sont les thèmes des peintures de Karine Bartoli .
Vincent van Gogh a dit ». Dans le sud, les sens s’aiguisent. Les mains deviennent plus agiles, l’œil plus attentif et la pensée plus claire ».
L’artiste travaille à partir de ses propres photographies. Elle choisit ses motifs en fonction de critères personnels. La transposition dans le médium de la peinture donne naissance à une qualité différente, plus sensuelle.
L’artiste appelle son exposition « Poésie ». Une poésie de la normalité, j’aimerais l’appeler ainsi.
« La poésie est la vérité en habits du dimanche ».écrivait Josef Roux, un poète et pasteur français.
Les tableaux de Karine Bartoli, avec de courtes séquences instantanées de personnes ou d’objets dans le paysage, ont en effet quelque chose de dominical. Ce sont des situations particulières à des jours particuliers, qui développent leur propre dynamique pendant le temps libre.
Il paraît que Jean Paul a dit :
« La poésie est comme un parfum qui s’évapore en laissant dans notre âme l’essence de la beauté ».

Si nous observons le travail de Karine Bartoli, nous pouvons y appliquer ces deux citations. La vérité en habits du dimanche, dorée par le soleil du sud, tout gagne en légèreté, Le bref, fugace instant, laisse une impression sensorielle qui résonne chez le spectateur.
La fugacité de l’instant est présente dans les tableaux de Karine Bartoli. De courtes scènes, des mouvements figés dans l’instant qui passe aussitôt, sont saisis dans les images : un temps infime fixé par l’œil de la caméra, un mouvement décomposé, une partie d’une action, mais aussi le silence et l’immobilité...
Dans sa peinture, Karine Bartoli parle de l’été, de la vie sur la plage au bord de la mer et des gens qui évoluent dans cet environnement.
La lumière du sud est parfois dure, la lumière dessine les personnages avec netteté. Il n’y a pas d’ambiguïté dans les tableaux, tous les objets sont nommés avec précision, toutes les personnes sont représentées comme dans la réalité. L’interprétation par une peinture abstraite n’existe pas. Elle peint les choses telles qu’elle les voit et telles que son appareil photo les voit.

Karine Bartoli réalise tous ses tableaux à la peinture à l’huile sur toile. Elle définit des contours nets, elle place des bords lumineux clairs, elle s’en tient aux couleurs réellement existantes des motifs.
L’observation des ombres, qui développent ici une grande dynamique, mérite une attention particulière. Si vous observez les deux images dans l’entrée, à droite et à gauche de la porte, vous verrez que les ombres sont un élément créatif important, - les ombres semblent développer une vie propre. D’ailleurs, les ombres sous leur forme la plus sombre jouent un rôle particulier dans les tableaux de Karine Bartoli. Cela est certainement dû à la lumière dure du sud. Ces jeux d’ombres sont particulièrement impressionnants chez un jeune couple qui passe devant un couple assis sur le côté avec un chien. On assiste alors à un véritable théâtre d’ombres ! Il en va de même pour le tableau de la ville de Rome, -les ombres déterminent la dynamique de l’image.

Les tableaux de cette exposition décrivent des scènes en plein air, l’interaction entre la plage, les vagues et le ciel, ainsi que les personnes qui agissent ensemble. On y voit des activités en plein air, principalement des jeunes en train de faire du skateboard, de la planche de surf, de se baigner ou de se promener.
Les personnes représentées ne sont pas forcément au centre, mais font partie du paysage. On voit ainsi deux personnes sur le vieux port de Marseille, l’une nous tourne le dos, l’autre est perdue dans ses pensées. En arrière-plan, la ligne d’horizon de la ville, une image d’ambiance.
Si l’image du vieux port de Marseille dégage une douce mélancolie, d’autres images montrent des actions plus détendues, comme un jeune couple qui marche au bord de l’eau, des jeunes qui jouent au football, quatre garçons assis sur un mur en train d’attendre, deux jeunes qui écoutent un groupe de musiciens sur la plage, des skateboarders, des gens sur la plage.
Ce sont des images de paix, la paix semble aller de soi ici.

Dans la plupart des tableaux de cette exposition, nous voyons des personnes en plein air, dans la nature. On y voit des gens qui agissent comme des fervents, mais qui semblent aussi un peu distants. L’aliénation de l’homme par rapport à la nature y résonne doucement. Le lien avec la nature semble surtout avoir de l’importance pour les loisirs.

Une image le montre tout particulièrement : un garçon en t-shirt jaune, isolé dans le monde des vacances et les yeux rivés sur son téléphone portable, semble déconnecté. Il donne l’impression de se trouver sur une île déserte, car il ne perçoit pas la réalité qui l’entoure. Cette image me semble être une métaphore de l’homme moderne, dont l’individualité soulignée peut conduire à l’absence de relation.

La mer joue un rôle très particulier dans les tableaux de Karin Bartoli. Beaucoup de ses scènes se déroulent directement au bord de l’eau.

Les couleurs changeantes de l’eau en fonction de l’incidence de la lumière et des mouvements sont clairement visibles. Ainsi, la mer peut paraître sombre et brumeuse ou lumineuse, amicale et inoffensive, balayée par la tempête ou apaisée. Les nuances de bleu, de vert et de gris les plus diverses sont utilisées ici. La force de la mer est particulièrement visible dans deux tableaux : d’une part dans un paysage avec de hautes montagnes qui descendent abruptement vers l’eau et des vagues qui s’écoulent et qui rencontrent au loin un bout de plage où l’on peut reconnaître des personnes en tout petit si l’on regarde bien. La violence de la nature est ici très claire, justement parce que les hommes sont représentés ici de manière minuscule.

Une autre image montre de manière impressionnante l’interaction entre l’eau en mouvement et la lumière du soleil. Les personnes qui s’activent dans leur bateau en train d’accoster sont montrées comme des ombres chinoises par le contre-jour. La lumière éclatante du sud est reflétée par la mer et semble également éblouir le spectateur depuis le tableau.

Et dans le tableau « Capu seninu », la tempête qui s’annonce est représentée par des vagues sombres et des embruns renforcés. Avec les montagnes escarpées en arrière-plan, la tension monte. La tension monte, la tempête pourrait s’intensifier.

Une image a cependant un caractère très particulier. Elle se distingue optiquement et thématiquement des scènes hédonistes et joyeuses. Il montre deux femmes qui se font face sous le titre « Bonjour Tristesse ». Il rappelle le célèbre roman de l’écrivaine française Françoise Sagan, qui a également été adapté au cinéma.
L’intrigue est brève : une fille vit avec son père une vie bonne et confortable sur la Côte d’Azur. Mais un jour, le père tombe amoureux d’une femme belle et intéressante du milieu de la mode à Paris. La fille met un frein à leur relation, ce qui provoque l’accident mortel de l’amante. La fille a maintenant retrouvé son père et continue à vivre sa vie. Vie sous le soleil du sud de la France, mais la mélancolie s’est installée : Bonjour Tristesse.... Il rappelle le célèbre roman de l’écrivaine française Françoise Sagan, qui a également été adapté au cinéma.

En guise de conclusion, je vous invite à lire ce que Plutarque de Chéronée ( de 45 à 120 avant Jésus-Christ) a dit : « la poésie est une peinture qui parle, mais la peinture est une poésie muette ».
Et cela nous ramène à la poésie, qui donne son titre à cette exposition : non seulement la beauté, mais aussi la poésie sont dans l’œil de celui qui regarde.



Katrin Bach (septembre 2024)

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